A Oujda chez Rachid !

Sa femme et son petit, sa fille plus grande était au souk...

 

À Oujda, la maison de Rachid s’ouvrait comme une respiration au cœur des ruelles. La porte restait entrouverte, et juste devant, un petit comptoir en bois accueillait les passants. On y trouvait du pain chaud, des biscuits dorés, quelques plats préparés avec soin, de quoi nourrir l’appétit des voisins ou des voyageurs de passage.

Ce jour-là, attirés par la simplicité du lieu, nous avons acheté des biscuits. Mais Rachid ne nous a pas laissés repartir ainsi. Avec ce sourire qui dit « entrez, vous êtes des nôtres », il a déplacé le comptoir et nous a invités à franchir le seuil. C’était l’heure du repas. Dans sa cuisine, il a rempli un grand bol de purée de pois chiches, destinée à la vente, qu’il a transformée en plat d’amitié.

Nous avons mangé ensemble, assis dans cette maison où flottait l’odeur du pain chaud. Sa femme, discrète et bienveillante, posait un regard attentif sur chacun. Son petit dernier tournait autour de nous comme un soleil vif, sa fille elle était partie au souk chercher quelques légumes. Le repas s’est prolongé, ponctué de rires et de silences simples, ceux qui n’ont besoin d’aucune traduction même si Rachid maîtrise à la perfection le français.

Depuis ce jour à Oujda, les années ont passé. Pourtant, le fil reste tendu, fragile et solide à la fois. Quelques messages échangés sur WhatsApp suffisent à rallumer ce souvenir, l’hospitalité d’un instant, devenue une amitié qui ne s’efface pas. Au Maroc, les portes s’ouvrent, mais surtout, les cœurs restent ouverts.

 

 

 

 

Rachid nous porte le thé fièrement, digne !

 

Rachid prend la vieille théière cabossée, la pose devant moi et dit en souriant, « Le thé, ici, ce n’est pas une boisson. C’est une habitude, une compagnie. Regarde bien… »

Il verse une cuillère de thé vert dans le fond. Puis, avec son geste sûr, il ajoute un petit verre d’eau bouillante. Il agite doucement la théière, la vide dans l’évier. « Ça, c’est pour laver le thé. Toujours, toujours, on jette la première eau, sinon c’est trop amer. »

Il remplit ensuite la théière presque jusqu’au col d’eau brûlante. Il attend un peu, deux ou trois minutes seulement. Puis il attrape le bouquet de menthe fraîche posé sur la table, l’écrase légèrement entre ses doigts pour libérer son parfum, et le glisse d’un coup dans la théière. Le parfum emplit déjà la pièce. « La menthe doit être généreuse. On ne compte pas les feuilles. »

Il prend alors les morceaux de sucre, un gros pain blanc qu’il casse avec un marteau. Trois ou quatre morceaux tombent dans la théière. « Le sucre, ça dépend des maisons. Mais moi, j’aime quand il adoucit bien. »

Puis il verse un premier verre de thé, le lève bien haut, et le reverse dans la théière. Il recommence, encore et encore. « On ne mélange pas avec une cuillère. Ici, on mélange comme ça. Le thé doit respirer. »

Enfin, il me tend un verre, le bras levé, le thé coulant en un filet doré et mousseux. « Voilà. C’est ça, le vrai thé marocain. Pas de folklore. Juste la vie, tous les jours, depuis des siècles. »

 

Un grand merci Rachid pour ton thé et votre accueil !

 

 

 

 

Un grand merci pour ton excellente purée de pois chiches !

 

Dans la cuisine, la vapeur monte d’une marmite posée sur le feu. La femme de Rachid soulève le couvercle, les pois chiches ont longuement mijoté, jusqu’à devenir tendres sous la pression des doigts.
« Tu vois », dit-elle doucement, « il faut de la patience. »

Elle les égoutte, en garde un peu d’eau de cuisson, puis prend son grand mortier de pierre. Les pois y tombent comme des perles dorées, et ses mains se mettent à l’ouvrage. Le pilon s’abat, écrase, mélange, jusqu’à former une purée dense. Elle ajoute un filet d’huile d’olive, généreux comme le soleil d’Oujda, une pincée de sel, un soupçon de cumin moulu. Puis, avec l’eau chaude mise de côté, elle délie peu à peu la pâte, jusqu’à obtenir cette texture onctueuse qui rappelle la soupe et le pain.

Elle goûte, ajuste encore d’un rien de sel. La purée est prête, chaude, réconfortante, nourrissante. Elle la verse dans un grand bol en terre cuite, arrose d’un dernier filet d’huile, et te la tend.

« Avec le pain, c’est tout », dit-elle. Rien d’autre n’est nécessaire.

Et tandis que tu trempes ton morceau de khobz dans la purée de pois chiches, tu comprends que ce plat, si humble, porte en lui toute une mémoire,  celle des repas partagés, du travail des mains, et de l’hospitalité offerte comme un trésor.

 

 

 

 

La femme de Rachid prépare le pain pour ce soir !

 

Elle avait retroussé ses manches, le grand plat en terre devant elle, et déjà ses mains s’enfonçaient dans la farine.
« Tu vois, c’est simple », dit-elle en souriant, « c’est le pain de toujours, celui qu’on fait chaque matin. »

Elle verse la farine, blanche et semoule fine, moitié moitié. De l’autre côté du plat, une pincée de sel. À l’opposé, une cuillerée de levure. Puis, peu à peu, elle ajoute l’eau tiède, versée avec lenteur, comme pour écouter la pâte naître. Ses mains mêlent, pressent, ramènent, étirent. Dix bonnes minutes de gestes sûrs, rythmés, jusqu’à ce que la pâte soit souple, lisse, comme une peau vivante.

« Maintenant, on la laisse dormir », murmure-t-elle. Elle couvre la boule d’un linge propre. Le temps de lever, le temps de gonfler, comme un souffle qui revient.

Une heure plus tard, elle reprend la pâte, la divise en deux, façonne deux galettes rondes, épaisses comme un doigt. Elle les pose sur un linge semoulé pour qu’elles ne collent pas, les recouvre encore, juste le temps d’une courte sieste.

Enfin, elle chauffe le four. Ici, c’est son four mais par solidarité ça peut être aussi le four du quartier, celui où toutes les femmes apportent leurs pains, elle dépose les galettes, les retourne, les surveille d’un regard habitué. L’odeur emplit la pièce, chaude, rassurante, ancestrale.

Quand elle sort le pain, il est doré, tendre au cœur, prêt à être rompu. Elle te le tend, encore brûlant,
« Voilà. Le pain. Le plus simple. Le pain de toute la vie. »

 

Merci pour ton excellent pain chaud !

 

                     

 

                    ***********************************

 

 

 

Petit résumé clair de la situation politique entre le Maroc et l'Algérie :

 

La frontière terrestre entre le Maroc et l’Algérie, près d’Oujda, est fermée depuis 1994. Cette fermeture remonte à un attentat à Marrakech attribué à des islamistes venus d’Algérie. Rabat avait alors imposé un visa aux Algériens, et Alger a répliqué en fermant totalement la frontière.

Depuis, les deux pays entretiennent des relations tendues, nourries par des désaccords politiques profonds (notamment sur la question du Sahara occidental).

Conséquences :

Les familles de part et d’autre, souvent liées par le sang, vivent une séparation forcée.

Les échanges économiques transfrontaliers, autrefois très dynamiques, ont été étouffés.

Oujda, qui était une ville-carrefour, a perdu une partie de son rôle commercial et reste marquée par cette coupure.


La frontière n’a jamais rouvert depuis, et elle symbolise aujourd’hui la fracture politique persistante entre les deux pays voisins.