Asmae...
Asmae est née à Chefchaouen, la ville bleue, mais c’est à Tétouan qu’elle a planté ses racines. Elle vit là avec sa sœur, dans la simplicité d’un quotidien discret, sans faste, mais habité par la profondeur de ses valeurs. Éducatrice spécialisée, elle donne ses journées à l’attention des autres, à cette patience et cette tendresse qui la définissent.
Son existence suit un rythme paisible, presque immuable, le matin, le travail le soir, le retour à la maison, parfois ponctué d’une promenade dans la médina qu’elle chérit tant. Entre les murs blanchis à la chaux et les ruelles étroites où l’écho des pas résonne comme une prière, Asmae se sent chez elle, reliée à l’histoire et à l’âme de la ville.
Profondément croyante, elle vit sa foi sans ostentation, comme une évidence qui l’accompagne et la guide. La religion, pour elle, n’est pas une contrainte mais une respiration, une manière de donner sens aux instants, même les plus modestes.
Le soir, quand Tétouan s’éclaire doucement et que les voix se mêlent aux parfums de menthe et de grillades, Asmae savoure ces heures calmes où la ville semble devenir un refuge. Une femme simple, mais dont la beauté réside dans cette alliance rare, la sincérité du cœur et la dignité tranquille du quotidien.
Depuis les terrasses de l'ancienne Médina....
Ici, sur la terrasse de la maison d’Asmae, le temps semblait suspendu. Nous étions au cœur de l’ancienne médina, perchés au-dessus de ses ruelles étroites, et devant nous s’ouvrait un tableau vibrant, un entrelacs de terrasses blanchies à la chaux, des toits plats où sèchent des linges colorés, des murs patinés par les siècles, et plus loin encore, comme une caresse à l’horizon, les montagnes de Tétouan.
La ville méritait bien son surnom de l’Andalouse. Il y avait dans l’air quelque chose d’hispanique, une nostalgie mêlée à une douceur, comme un parfum venu de Séville ou de Grenade qui aurait traversé le détroit pour s’ancrer ici. Les façades, les patios secrets, l’élégance discrète de la médina rappelaient ce passé andalou qui coule encore dans les veines de la cité.
Assis là, avec Asmae, nous laissions la soirée s’installer. Les voix montaient des ruelles comme un chant, les parfums d’épices se mêlaient à la fraîcheur du soir. Et nous, simplement, nous goûtions ce privilège rare, partager l’intimité d’une maison, d’une terrasse, et sentir que derrière les murs, il y a une âme, un cœur, une histoire.
Depuis la terrasse, Tétouan se révélait comme une mosaïque vivante. Les toits plats, reliés entre eux comme des passerelles suspendues, formaient une mer de chaux éclatante où chaque maison semblait se confier à la suivante. Ici, un tapis secouait ses couleurs au vent, là, une femme arrosait des pots de basilic et de menthe, plus loin, des enfants couraient sur un toit, libres comme des oiseaux.
La lumière déclinante enveloppait la médina d’un voile doré, et déjà, dans le ciel, les premières étoiles s’allumaient au-dessus des montagnes. Le muezzin lançait son appel, repris en écho d’un minaret à l’autre, et toute la ville semblait respirer au rythme de ces voix.
Tétouan, l’Andalouse, portait cette élégance particulière, celle des villes qui ont gardé la mémoire d’un exil. On la sentait dans l’architecture, dans les façades ornées de zelliges, dans les patios aux colonnes fines et dans les portes aux arcs mauresques. Mais on la retrouvait aussi dans l’âme de la ville, dans cette douceur grave, presque mélancolique, qui flotte dans l’air du soir.
Et tandis que la musique d’une guitare s’échappait d’une maison voisine, on aurait pu croire que Grenade, Cordoue ou Séville avaient traversé le détroit pour se réincarner ici, dans ce décor de montagne et de lumière. Tétouan vibrait comme un pont entre deux mondes, l’Espagne et le Maroc, la mémoire et le présent.
Puis la nuit se posa doucement sur la médina, comme un voile bleu profond. Les toits, que le soleil avait fait flamboyer quelques instants plus tôt, se mirent à briller d’une blancheur douce, presque lunaire. Les lanternes s’allumèrent une à une dans les ruelles, et la médina prit l’allure d’un dédale d’or et d’ombre.
Des sons flottaient dans l’air, le tintement métallique d’un marteau sur l’enclume, le rire d’enfants jouant encore dans les venelles, le murmure des conversations portées par les fenêtres entrouvertes. Puis, d’une maison voisine, s’éleva le rythme discret d’un oud, comme une confidence musicale. Plus loin, un transistor diffusait un air andalou, voix claire, mélodie nostalgique, battement de mains… et l’on croyait entendre, dans ce chant, l’écho des patios de Séville ou de Grenade.
Les senteurs aussi s’étaient multipliées avec la fraîcheur du soir, coriandre et cumin qui s’échappaient des cuisines, pain chaud sorti du four, jasmin grimpant aux murs. Tout formait une symphonie invisible qui enveloppait la ville entière.
Tétouan, la nuit, devenait une Andalouse en fête discrète. Pas de vacarme, pas de tumulte, mais une sorte d’élégance intime, un raffinement simple. C’était une ville qui se livrait peu, mais qui, à qui savait regarder, offrait un mélange rare de beauté, de mélancolie et de grâce.
Et là, depuis la terrasse d’Asmae, nous avions ce sentiment d’assister à quelque chose de plus grand que nous, la mémoire vivante d’un monde disparu, et pourtant toujours présent, vibrant dans les pierres, dans les voix, dans le parfum du soir.
Petite lessive !
Voyageant en camion aménagé, il y a toujours ces petits détails du quotidien qui prennent une importance particulière. Ce jour-là, le soleil brillait généreusement sur Tétouan, et justement, Asmae était en repos. Après avoir partagé un repas ensemble, ces instants simples qui n’ont besoin de rien d’autre qu’un peu de pain, d’olives et de rires, elle nous proposa d’apporter notre linge chez elle.
« Venez, on va lancer une machine », dit-elle en souriant, comme si cela allait de soi. Et soudain, ce qui d’ordinaire est une corvée sur la route devint un moment de complicité. On a descendu, plié, trié nos affaires, dans l’ambiance tranquille de sa maison. Puis, une fois le linge propre et parfumé, nous sommes montés tous ensemble sur la terrasse pour l’étendre.
Le vent léger faisait danser les draps, et nous, on riait comme des gamins à accrocher chemises et pantalons, entre les antennes de télévision et les pots de basilic. La médina s’étalait autour de nous, les montagnes veillaient au loin, et sur cette terrasse, ce n’était plus juste une lessive, c’était un partage, une amitié qui se tissait dans la simplicité des gestes.
Ces moments-là, sans éclat, sans rien d’exceptionnel, sont souvent ceux qui restent les plus précieux, un peu de soleil, du linge qui claque au vent, et l’impression d’être accueillis comme chez soi.
Repas dominicale en famille !
C’était un dimanche chez Asmae, un de ces jours qui, sans rien promettre, finissent par devenir inoubliables. Sa sœur nous avait ouvert la porte avec ce sourire franc et lumineux qui, déjà, annonçait la chaleur de ce qui allait suivre. Dans la maison, l’air était chargé de senteurs, coriandre fraîche, cannelle, cumin, pain chaud… tout un concert d’épices qui éveillait l’appétit avant même que l’on voie la table.
Et quelle table ! On aurait dit un festin dressé pour fêter l’arrivée de voyageurs de longue date. Au centre, trônait un grand tajine de poulet aux citrons confits et aux olives vertes, dont la sauce dorée brillait sous le couvercle encore fumant. À côté, un couscous parfumé aux légumes, carottes, courgettes, pois chiches et navets tendres rehaussé d’un bouillon rouge aux tomates et à la coriandre. Des petites salades marocaines accompagnaient le tout : zaalouk d’aubergines fondantes, carottes au cumin, poivrons grillés à l’ail. Le pain, rond et tiède, circulait de main en main, servant d’ustensile et de lien.
Et comme si cela ne suffisait pas, il y avait aussi des pastillas individuelles, feuilletées, dorées, sucrées-salées, où s’entremêlaient le parfum de la cannelle et la finesse du pigeon ou du poulet. Le sucré s’invitait au cœur du salé, comme un jeu raffiné.
Après ce festin, vint le temps du thé à la menthe, servi avec toute la grâce du geste, la théière levée haut pour faire mousser le liquide ambré. Sur la table, des gâteaux marocains avaient trouvé leur place, cornes de gazelle, petits losanges de chebakia enrobés de miel, makrouts à la datte et aux graines de sésame.
Autour de la table, nous étions tous là, riant, échangeant, savourant, comme si l’on se connaissait depuis toujours. Il n’y avait pas seulement de la nourriture il y avait cette hospitalité profonde, cette générosité marocaine qui donne sans compter, avec le cœur grand ouvert.
En quittant la maison ce soir-là, le ventre plein et l’âme comblée, nous savions que ce repas resterait un souvenir rare, celui d’avoir goûté, bien plus qu’à des plats, à une culture entière, servie avec amour et simplicité.
La rencontre mieux que le rendez-vous !
C’est une histoire de l’époque de l’Église, de ces institutions venues imposer leur ordre sur des terres déjà habitées. Oui, elles sont là, avec leurs rites et leurs pierres, mais avant elles, il y avait les Amazighs, les Berbères, profondément enracinés dans ces collines et ces vallées. Tout a pu être piqué, repris, réécrit… et pourtant, quelque chose de l’ancien demeure, intact et vivant.
C’est là que la rencontre avec Asmae prend tout son sens. Elle est née et vit ici, au cœur de Tétouan, avec la simplicité et la force des racines qui ne s’effacent jamais. Dans ses gestes, dans sa manière de marcher dans la médina, de choisir ses mots, de sourire, il y a cette mémoire ancienne, ce souffle que l’histoire n’a jamais pu effacer. Elle est la continuité discrète et belle de ce qui était là avant, ce lien vivant avec le passé.
Le hasard, alors, nous a guidés vers elle. Pas de rendez-vous, juste un instant qui s’impose, un moment rare où les temps se croisent, l’histoire officielle, l’histoire des peuples anciens, et la vie simple d’une jeune femme qui nous ouvre sa maison, sa terrasse, son monde. Et dans ce moment, tout semble se réconcilier, le passé et le présent, le visible et l’invisible, le voyageur et la ville, le hasard et la rencontre qui devient inoubliable.
C'est une vraie chance Asmae notre rencontre...
Nos petits rendez-vous ponctuels !
Comme à son habitude, après son travail vers dix-huit heures, Asmae nous retrouvait au pied des murailles de la médina. C’était toujours là, à l’ombre des remparts blanchis, que commençait notre rituel. On s’asseyait à une terrasse, un petit café serré, quelques gâteaux posés sur la table, et déjà les conversations glissaient et reprenaient là où elles s'étaient arrêtées la veille.
Puis venait la balade, inévitable. Tous les deux, on suivait Asmae dans le dédale des ruelles, et elle, avec son pas tranquille, nous ouvrait la médina comme on entrouvre un coffre à secrets. Chaque tournant avait son histoire, chaque passage étroit, sa mémoire. Elle connaissait tout, les recoins oubliés comme les artères vivantes, et elle nous les montrait avec la fierté d’une enfant guidant ses invités dans la maison familiale.
Un soir, au moment de se séparer, Asmae insista : « Non, ce n’est pas fini, il faut absolument que je vous montre encore une chose. » Alors elle nous emmena jusqu’à la place dite Plaza Primo. Là, le décor s’animait, guirlandes de lumières suspendues, musique flottant dans l’air, comme si la fête ne devait jamais finir. Elle souriait en voyant nos yeux écarquillés et dans ce sourire, il y avait quelque chose de cette ville elle-même, simple, chaleureuse, généreuse.
Nos retrouvailles trois mois plus tard !
Un petit appel wattsapp afin de nous rejoindre trois mois d’absence plus tard, nous avons retrouvé Asmae comme on retrouve un lieu familier qu’on croyait oublier, mais qui, en réalité, n’a jamais quitté le cœur. Le bonheur de nous revoir a guidé nos pas jusqu’au même coin de la médina, là où les murs blanchis se dressent, constants, et où le temps semble se plier à nos émotions.
Dès que nous l’avons vue, un sourire a éclairé son visage, et c’était comme si ces trois mois n’avaient jamais existé. Les rires ont jailli, légers et sincères, et nous avons partagé des regards, des gestes, des paroles qui ne nécessitaient aucun commentaire. La ville autour, avec ses ruelles et ses toits étagés, s’est effacée pour ne laisser place qu’à cet instant pur, celui de l’amitié retrouvée.
Nous avons marché ensemble dans la médina, chacun sentant la joie de la proximité retrouvée, chaque pas résonnant d’un mélange d’excitation et de tendresse. Les recoins que nous connaissions déjà prenaient un nouvel éclat, comme si le temps passé à l’écart avait rendu la ville plus vive, et notre complicité plus évidente encore.
Ces retrouvailles, simples et profondes, nous rappellent que certaines rencontres et certaines personnes ne se perdent jamais, peu importe le temps ou la distance.
Après les premiers éclats de rire et les accolades, Asmae nous a entraînés vers une petite terrasse qu’elle affectionne au pied des murailles. Le café fumait dans nos tasses, les gâteaux disposés négligemment sur la table, et nous trois, assis là, nous laissions le temps s’étirer.
Elle nous montrait les recoins de la médina avec un enthousiasme contagieux, et nous, un peu maladroits dans nos tentatives de suivre ses pas rapides dans les ruelles étroites, gloussions à chaque coin. Une porte s’est refermée derrière nous, un chat a bondi sur un mur, et nous avons presque trébuché de surprise, ce genre de petites catastrophes légères qui font le sel de la vie en voyage.
Puis, tout en marchant, Asmae a eu cette idée : « Venez, il faut absolument que je vous fasse voir quelque chose ! » Et nous voilà partis, éclats de rire dans les ruelles, jusqu’à la plaza Primo, illuminée et musicale comme un décor de conte, où les lumières dansaient et la musique semblait jouer pour nous seuls.
C’était simple, joyeux, imprévu, exactement comme ces hasards que les Berbères aiment tant, mieux que tout rendez-vous prévu, parce qu’ils surprennent et transforment un instant en souvenir indélébile.
L'équipe d'éducateurs d'Asmae préparant le repas afin de manger tous ensemble sur la terrasse...
La cuisine de la structure est un fourmillement d’énergie et de rires. Asmae, vêtue d’un simple tablier, découpe des légumes avec précision, roule la pâte tandis qu’à côté d’elle, ses collègues éducatrices remuent des sauces, surveillent la cuisson et goûtent ici et là, avec des sourires complices. Les jeunes passent entre les plans de travail, certains aidant à éplucher, d’autres posant des questions, riant des maladresses des uns et des autres. L’atmosphère est à la fois studieuse et joyeuse, chacun a sa tâche, chacun contribue, et pourtant, tout se fait dans une légèreté contagieuse. Ici, on ne sépare pas « ceux qui servent » et « ceux qui sont servis » : tous mettent la main à la pâte, au sens propre comme au figuré, dans un ballet désordonné mais harmonieux. Asmae prend le temps de sourire à un jeune hésitant, de lui montrer comment couper un poivron sans se blesser, avant de retourner à ses casseroles, toujours attentive au parfum qui se dégage de la cuisine. La scène respire la solidarité, l’écoute et la chaleur humaine, où chaque geste, chaque rire, construit un peu plus le lien entre éducateurs et jeunes.
Le boulanger au cœur de l'ancienne Médina de Tétouan...
Dans cette ruelle animée de la Médina, le boulanger enfourne les petits pains ronds encore fumants. L’odeur chaude et rassurante du pain fraîchement cuit emplit l’air. Des clients se pressent avec leurs caisses en plastique, récupérant de grosses commandes destinées aux restaurants. Mais ici, au cœur de l’ancienne ville, le four ne sert pas qu’à nourrir les commerces, de nombreux habitants viennent y cuire leurs repas, profitant de la chaleur, quand leur logement ne dispose pas de cuisine. Chaque geste, chaque parfum raconte la vie simple et collective de ce quartier historique.
Le palais du roi du Maroc à Tétouan...
La place du palais du roi du Maroc est bien plus qu’un simple espace urbain, elle est le cœur symbolique de la ville et le reflet de l’histoire et de la tradition du royaume. Pour chaque Marocain, le roi n’est pas seulement un souverain il est perçu comme le père de tous, celui qui veille sur son peuple avec une présence discrète mais constante.
Chaque année, il partage son temps entre son somptueux palais de Tétouan, où se mêlent solennité et intimité, et sa maison au bord de la mer, où la mer et le vent lui offrent un espace de quiétude loin de l’agitation citadine. La place, animée de passants et de marchés, reste le témoin silencieux de ce lien unique ici, le peuple vit et respire au rythme de son roi, ressentant sa protection comme celle d’un père aimant. Les cérémonies, les gardes, les allées et venues ne sont pas seulement protocolaires, elles incarnent une relation presque familiale, profondément enracinée dans la mémoire collective.